J’ai pu partager la perspective de Farah Chabchoub sur la transversalisation de la qualité logicielle dans cet interview de la QE Unit.
Forte d’une expérience dans des environnements exigeants, dynamiques mais également réglementés, Farah défend une qualité des opérations au comité de direction.
Nous avons pu échanger sur sa vision et perspectives pour une assurance qualité avec plus d’impact et de valeur pour les organisations.
Ce partage nous amène à des pistes de réflexions pour la place, positionnement et investissement de la qualité pour nos entreprises.
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À propos de Farah Chabchoub
Après avoir terminé avec succès son master en machine learning et traitement automatique des images à l’Université Pierre et Marie Curie, Farah s’est particulièrement intéressée à l’innovation et à l’amélioration des services.
Elle a commencé à s’intéresser à l’assurance qualité à partir de ses expériences de stage en testant des produits et services pour INFOTEL, puis pour Groupama.
Ces expériences ont suscité sa passion pour le contrôle qualité et elle a rejoint Dassault Systèmes pour devenir ingénieur assurance qualité pour les produits R&D.
À partir de 2017, son expérience mondiale en assurance qualité est mise à profit chez MANGOPAY (solution de paiement de bout en bout pour les marketplaces) et Leetchi (la plus grande plateforme de pot social fondée en Europe).
En tant que responsable QA, elle aime travailler dans un environnement innovant avec de nouveaux défis quotidiens dans un environnement hautement réglementé.
Antoine : Peux-tu commencer par te présenter?
Bien sûr, j’ai 27 ans et actuellement Head of QA et membre du comité opérationnel pour une des plus grandes FinTech en France. Je vais bientôt changer d’aventure, mais je reste quelqu’un qui alimente la stratégie de l’entreprise par la vision QA en assurant la continuité de service.
À part la QA, j’aime beaucoup faire de la photographie, de la peinture à huile, et j’adore le Japon, j’y voyage assez souvent. Je fais un vrai parallèle avec la rigueur qu’on peut voir au Japon et le parallèle avec la vie, parfois un peu rigide, que l’on retrouve d’ailleurs dans la QA.
Antoine : Quelles sont tes priorités dans la transversalisation de la qualité ?
C’est pour moi une démarche pas à pas. J’ai pris un rôle de direction de QA assez tôt et j’ai eu deux défis à adresser. Un premier de créer et d’asseoir ma vision de la qualité, le second, d’avoir un impact à un niveau stratégique.
Pour ça, je suis beaucoup allé au contact hors de mon silo pour comprendre leurs objectifs et leurs attentes. Je pense que c’est en partie pour ça que j’ai réussi à créer une QA plus transverse.
Antoine : J’imagine que les équipes ont également grandis en parallèle ?
Oui effectivement, en 2017 quand j’ai rejoint le groupe composé de MangoPay et de Leetchi, j’étais la seule personne en QA. Les deux entités comptaient 20 à 25 personnes entre produit, développement et infrastructures, avec qui j’ai été amené à collaborer.
Les équipes ont grandi et aujourd’hui l’équipe QA compte 16 personnes, dont 5 qui me sont directement rattachées. Je reste convaincu que notre travail en communication, processus et rôles transverses a été tout aussi important.
Nous avons fait évoluer les missions pour répondre aux objectifs des différentes parties prenantes, en y alignant les processus et les rôles de chacun. Un véritable travail d’alignement a été réalisé.
J’ai tenu à avoir un partage de la stratégie avec Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi et MangoPay. Aligner la qualité avec les enjeux de l’entreprise était pour moi obligatoire. J’y ai d’ailleurs conditionné ma prise de poste.
Antoine : Quels freins identifies-tu à la transversalisation de la qualité ?
C’est pour moi la QA elle-même. Je pense qu’il y a une vision archaïque et historique du métier de QA qui crée des mauvais réflexes. Par exemple, un responsable de QA arrivant dans une organisation va facilement se focaliser sur les tests, leur couverture et automatisation.
Hors, selon moi, l’apport de la QA est bien plus large.
Nous ne sommes pas juste là pour tester mais bien pour soutenir l’accélération et l’innovation des produits. On est donc loin de devoir uniquement se focaliser sur la gestion des bugs. On peut répondre de différentes manières à ces enjeux : par l’observabilité, des pipelines, etc.
Nous ne sommes pas juste là pour tester mais bien pour soutenir l’accélération et l’innovation des produits.
Farah Chabchoub
Le frein est donc le mental des QA eux-mêmes. Nous avons du mal à accepter que notre métier n’est pas uniquement le test. Pour moi c’est une faiblesse que nous pouvons surmonter par la transversalité. Nos efforts rendent également les métiers plus attractifs, sortant du seul code ou test.
Pour partager un exemple, quand je suis arrivé chez MangoPay nous avions un cycle de release toutes les 4 semaines. Cette fréquence était bien trop lente pour notre entreprise. L’un des premiers enjeux de la QA a été d’améliorer notre time-to-market tout en maîtrisant la qualité.
Notre démarche nous a amené à pouvoir délivrer tous les 10 jours, un vrai gain pour l’organisation. Nous n’avons pas forcément besoin d’un ROI précis, nous permettons à l’entreprise d’être plus réactive, de capter des opportunités et d’accélérer son développement. Il n’y a pas d’ambiguïté sur l’apport de valeur, même pour un CEO.
Antoine : J’ai parfois le sentiment qu’on est en retard sur la valorisation de la QA en entreprise. On a mis 15 ans à positionner des rôles de CIO, CDO et CTO, prenant conscience de leur enjeu stratégique, au lieu d’un seul responsable IT rattaché au CFO. Pour la qualité, nous sommes encore avec un train de retard même si je vois des investissements plus clairs en qualité, est-ce que tu partages cette vision ?
Oui clairement, l’environnement est plus que favorable au développement des métiers de la QA. Si on regarde les chiffres, le nombre de création d’entreprises n’a jamais été aussi haut en France. Depuis 2010, l’écosystème de start-up continue à se dynamiser.
Ces facteurs augmentent la nécessité de fournir une expérience digitale de qualité, tout en pouvant être pionnier sur des marchés. Les acteurs ayant investi en qualité peuvent prendre des longueurs d’avance.
Je me suis faite la réflexion sur mon rôle dans l’organisation. Initialement QA Manager, je suis aujourd’hui Head of QA tout en participant au comité opérationnel. Je vois de plus en plus de postes à responsabilités et reste convaincu que cette tendance va se maintenir.
Antoine : Quelles sont pour toi les opportunités et menaces pour une qualité plus transverse ?
La culture de l’entreprise est pour moi fondamentale. Des organisations n’ayant pas de département QA peuvent avoir une culture de la qualité de service transverse bien présente. Par exemple, des équipes auront intégré la qualité au sein de leurs équipes et processus existants.
La communauté de QA est également en place et bien dynamique. Il existe des mines d’informations accessibles tant sur la qualité que la conduite du changement, l’engineering, etc.
Par contre, toutes les entreprises ne sont pas de bonnes candidates à créer une culture de la qualité. Une seule personne de QA se retrouvant dans une équipe de 50 développeurs aura du mal à faire changer les codes. J’en ai d’ailleurs fait l’expérience chez MangoPay en démarrant seule. J’ai investi significativement en travaillant assidûment pour faire la différence.
L’échelle des équipes est donc un facteur important comme la culture, les membres du comité de direction, etc.
Antoine : Dans un facteur favorable nécessitant de recruter 20 profils de QA, est-ce que ce serait pour toi un défi ? Vois-tu le manque de profils comme une potentielle menace ?
Je ne pense pas que le manque de profils soit une réelle menace. Pour moi, les soft skills et le fit culturel restent le plus important pour trouver les bonnes personnes, les hard skills pouvant être plus facilement appris.
La bataille des talents est valide également pour la QA, les entreprises veulent les meilleurs profils.
On voit également émerger des outils visuels de type low code ou scriptless facilitant certaines activités et donc les futurs recrutements.
Antoine : De ton expérience, quelles pratiques as-tu trouvé efficaces, ou au contraire inefficaces ?
Premièrement, faire le premier pas pour comprendre le besoin est fondamental. Nous devons bien comprendre le problème sans se ruer sur des solutions. L’expression du besoin est donc structurante et ne doit surtout pas être un exercice à réaliser seul.
Il faut être en capacité d’aller voir les différents interlocuteurs et leur demander ce qu’ils attendent de la qualité. Si la réponse se limite à devoir faire un test, il faut creuser pour comprendre le besoin et le “pourquoi”. Nous devons répondre aux véritables attentes des parties prenantes.
Cet exercice collaboratif m’a également permis d’avoir une meilleure compréhension du métier et de créer une relation. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que nous devons appréhender les attentes de nos interlocuteurs.
La seconde pratique est d’avoir une approche d’accompagnateur, de coach et de problem-solver. La situation devra constamment être améliorée, nous devons savoir travailler itérativement et collaborer avec les équipes les plus appétantes. Notre objectif doit être d’apporter des solutions, sans se limiter à pointer des problématiques.
Notre objectif doit être d’apporter des solutions business en support des objectifs stratégiques.
Farah Chabchoub
Par exemple, l’équipe QA chez MangoPay était uniquement affectée par un ratio sur le volume de tickets. Nous nous sommes rapidement rendu compte des limites de ce modèle. L’équipe Produit nous a partagé ses difficultés à évaluer la testabilité de leurs spécifications. Nous avons défini un processus partagé où nous agissions comme des consultants en évaluant la supervision ou la continuité des applications.
Par la suite, les équipes Produit mais également de Développement ont remarqué que nos questions étaient pertinentes. Nous avons fait émerger des pratiques améliorant réellement nos livraisons. Avec le temps, notre implication est même devenue systématiquement exigée par les équipes. C’est donc par l’exemple, l’échange et la collaboration que nous avons convaincu les équipes.
Mon dernier point est d’incarner une vision du changement, sans hésiter à prendre le leadership sur des sujets. C’est ce que nous avons fait sur l’observabilité, sans rester passivement en attente d’autres équipes. Notre initiative s’est transformée en un projet que nous avons pu mener à bien.
Cette ouverture permet aux équipes d’apprendre sur des sujets, en transversalité, et de rayonner dans l’organisation. C’est également bien plus valorisant et reconnu dans l’entreprise, des opérations au comité de direction.
Antoine : Quels sont pour toi les points clefs à retenir pour une QA plus transverse ?
Être à l’écoute des autres équipes afin d’incarner une QA apportant de la valeur au business. Nous devons sortir de notre silo et du stéréotype de la QA pour répondre aux problématiques de l’entreprise.
La QA doit également sortir de son rôle d’exécutant pour augmenter son impact. Les sujets de collaboration, communication et de processus sont tout aussi importants que les tests et autres sujets d’automatisation. Nous devons savoir partager et articuler la proposition de valeur avec notre CEO, CIO ou CTO. Cela implique de sortir de l’opérationnel pour obtenir une perspective plus stratégique.
Antoine : Penses-tu que nous verrons émerger de plus en plus de Chief Quality Officer, VP of Quality ?
Je l’espère bien, même si le rôle seul n’aura pas de valeur, c’est la pertinence de notre vision qui sera une conséquence d’un tel positionnement. Nous devons cerner les objectifs et aligner l’apport de la qualité, spécifique à chaque organisation.
Pour nous par exemple l’accélération du time-to-market et la réactivité sur la gestion d’incidents étaient deux priorités phares. Nous avons dans ce cas travaillé sur l’amélioration de la chaîne de delivry avec les équipes ops, dev et produit, d’autre part, sur la mise en place des SLOs, de la gestion d’incident avec les équipes de supports. Avec ces missions notre apport stratégique devient trivial. Sans transversalité, nous serions passé à côté de cette priorité stratégique.
Mon conseil pour tout dirigeant dans le domaine de la QA; c’est d’œuvrer pour apporter une vision d’ensemble et ne pas viser un rôle motivé uniquement par l’ambition personnelle. Nous ne changerions pas les aprioris sur le domaine si nous visons un rôle et pas une mission transverse.
Mon conseil est d’œuvrer pour apporter une vision d’ensemble et ne pas viser un rôle motivé uniquement par l’ambition personnelle.
Farah Chabchoub
Antoine : Pour terminer sur une note personnelle, quelles références, contenus ou personnes t’ont le plus inspirée ?
Je citerais en premier John Cutler pour travailler une qualité et organisation plus transversale, sur une perspective produit. C’est un coach produit chez Amplitude qui fait de super articles poussant à casser les silos. Il partage l’impact de l’organisation sur la création des produits et projets.
La question du “pourquoi” est importante pour moi. Le classique “Start with Why” de Simon Senek est pour moi une référence que tout le monde devrait lire. Il y a une logique derrière ce que l’on fait, ce que l’on entreprend.
Sur un axe plus opérationnel en lien avec la supervision, le monitoring et la gestion d’incidents, je recommande vivement le podcast de Cory Watson “Stripe Observability Pipeline”. Il partage sa vision et pratiques qu’il a pu mettre en place dans un acteur aussi majeur.