Pour cette interview de Quality Engineering, je reçois Christian Sayegh, spécialiste en conseil et stratégie d’automatisation, cofondateur de CloudNetCare.
Fort de 35 années d’expérience dans l’informatique, avec la qualité toujours dans son radar, Christian ne manque d’anecdotes à partager.
Nous avons pu échanger sur sa perspective actuelle de la qualité dans les organisations au travers des diverses missions qu’il a pu mener.
Une bonne écoute, lecture, ou visionnage à votre convenance, n’hesites pas à commenter.
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À propos de Christian Sayegh
Plus de 20 ans d’expérience exclusivement dans le monde du service. Titulaire d’une licence d’informatique Paris VI et d’un Master en management, il a consacré la moitié de sa carrière à intervenir pour des clients prestigieux tels : Total, CCF, BNP Paribas, EDF, Laboratoires Pfizer.
Débutant comme développeur pour aboutir à la fonction de directeur de projets. La seconde moitié de sa carrière sera dédiée à la relation clients avec l’objectif de répondre au plus près des demandes au sein de sociétés comme : BUT, HSBC, Laboratoire Aventis, ATAC, BNP Paribas, fondation Claude Pompidou, Société Générale, Banque Rothschild, MFA, banque Robeco, Banque Cortal consors, etc.
Des relations saines avec intégrité lui ont permis de préserver des relations au sein de ces sociétés.
Antoine: Peux-tu commencer par te présenter?
Je pourrais me décrire comme un « vieil informaticien”, j’ai débuté en tant que développeur.
Le secteur de l’IT m’a toujours intéressé, je suis passé de développeur à chef de projet, directeur de projet etc.
Dans cette première partie de carrière j’ai été confronté à la qualité des logiciels qui m’a toujours intéressé, pour fournir du logiciel utile et stable.
D’ailleurs j’aimerais souligner que les logiciels de gestion ont toujours eu du retard sur ce volant de qualité, en regard de l’informatique industrielle.
Sur ma seconde partie de carrière je suis passé dans l’édition de logiciel, avec CloudNetCare, pour mettre à disposition une plateforme dans le domaine du test,
Au début de ma carrière, j’ai effectué beaucoup de projets où l’aspect outillage était une vrai difficulté : complexe, cher, long à mettre en œuvre.
Antoine: De par ton expérience, sens-tu parfois que “l’histoire se répète”?
Tu fais peu de le dire!
Ma vision est qu’il y a eu très peu d’évolution dans les mentalités au niveau des équipes IT et développements pour la prise en compte de la qualité.
On est toujours à 70% des projets informatiques qui échouent, en n’ayant pas encore intégré la qualité à sa juste mesure.
La qualité est souvent une activité tentée en peau de chagrin à la fin du projet, comme si elle avait été oubliée, dans un vain effort d’améliorer le produit en dernière minute.
Antoine: J’imagine qu’un projet qui n’a pas pris en compte la testabilité au départ, est comme ajouter changer les plans d’une maison une fois les fondations posées?
Oui, d’ailleurs il y a eu beaucoup de littératures et modèles sur le BDD et le TDD.
Malgré ça, je n’ai vu aucune entreprise ayant réussi à intégrer en amont et à l’échelle ces pratiques.
Je pense qu’il y a des gaps forts entre ce qui est imaginé dans les modèles, et la réalité du terrain.
Par exemple, les exemples ayant toujours pour hypothèses une quinzaine de testeurs, formés et un investissement en qualité sont rares en réalité.
Des petites équipes avec un investissement limité en qualité représentent la majeure partie des entreprises aujourd’hui.
Le revers de la médaille, qui est aussi une fausse bonne idée que je vois régulièrement, est d’utiliser uniquement des solutions dites gratuites.
Comme les organisations ne veulent pas surcharger le coût facial, on essaye d’intégrer des solutions pour essayer de faire “gagner” de l’argent en facial.
On espère que la qualité du produit va soudainement s’améliorer, sans investissement.
Christian Sayegh
On prend un alternant, on demande à un développeur de faire des tests unitaires, et on espère que la qualité du produit va soudainement s’améliorer.
Encore aujourd’hui je rencontre encore fréquemment cette approche dans les équipes qui veulent passer une marche dans leur démarche qualité.
La plupart de ces équipes n’ont en fait pas conscience de l’effort et l’investissement requis pour initier une telle démarche.
C’est d’ailleurs via ces points que je sens le manque d’évolution de maturité, la qualité n’est pas considérée comme une démarche en tant que telle.
Que ce soit du modèle Merise avec 20% de charge allouée aux tests, ou les 30 à 40% pour les méthodes agile
Antoine: En phase avec toi, j’ai le sentiment qu’on a du mal à communiquer la valeur de la qualité, et que cela contribue à réduire la valeur perçue de la qualité.
Effectivement, c’est pour moi un point clef.
Pour les décideurs la qualité doit permettre d’augmenter le chiffre d’affaires, le bénéfice, de gagner plus et mieux.
Comme la première fonction de la qualité logicielle est indirecte, orientée sur la réduction du risque, c’est très difficile voir impossible de factuellement quantifier sa valeur.
Prenons l’exemple d’une fonctionnalité de paiement, combien perd-t-on si son fonctionnement est dégradé?
C’est très difficile de répondre et à mesurer, même en comparant sur de l’historique ou sur une activation graduelle de fonctionnalité.
Le problème est en fait posé à l’envers, oú l’on demande de justifier un ROI pour la qualité logicielle, c’est une équation biaisée.
L’apport de la qualité peut difficilement être justifiée par un ROI traditionnel.
Christian Sayegh
La seconde valeur de protection de l’image de l’entreprise a la même difficulté, comment mesurer l’impact négatif sur l’image de l’organisation?
Pour être perçue tant à un niveau stratégique ou dans un projet, la qualité ne doit pas poser la justification de la qualité sous cet angle, c’est pour moi voué á l’échec.
La qualité est également définie comme une fonction support au métier, qui la positionne en vérification de spécifications, pas en apport de valeur pour l’entreprise.
Cela contribue également à donner une image “simpliste” de l’assurance qualité, comme s’il suffisait d’automatiser des vérifications.
En complément, les équipes externes à la QA dénigrant cette fonction poussent à déconsidérer le domaine.
J’ai un exemple d’ailleurs, oú une entreprise nous a consulté très motivée pour initier sa démarche qualité et d’automatisation.
Notre première question a été d’identifier quel serait notre interlocuteur pour le projet.
Il n’y en avait pas et nous avons préféré ne pas accepter le projet, du moins à ce niveau de maturité.
Un démarche qualité sans contact opérationnel est n’est probablement pas une priorité.
Christian Sayegh
Ce qui finit par arriver est sinon un décalage très probable de la démarche au vu d’autres priorités internes, en plus du manque de moyens alloués.
On se rend compte que malheureusement, comme la qualité est la dernière roue du carrosse, c’est toujours ce qui est décalé, sacrifié.
Ça me rappelle une anecdote quand je présentais des projets au forfait, avec une charge allouée à la documentation du produit.
Quand on me disait que 30 jours “c’est beaucoup pour de la documentation”, on finissait par faire en best-effort avec la charge restante.
C’est exactement ce que je vois arriver à la qualité dans les projets.
Antoine: Dans cette complexité, as-tu des pratiques, actions que tu as trouvé efficaces au fur et à mesure des années?
Je peux évoquer des cas d’entreprises qui ont réussi leur démarche.
En premier, la présence d’un sponsor interne à l’entreprise, qui va impulser la qualité comme un axe stratégique pour l’organisation est nécessaire.
C’est grâce à lui qu’un déploiement pourra par exemple être décalé faute de qualité suffisante.
Ce sont des messages forts qu’il faut pour inverser la tendance historique de l’organisation.
Il peut ensuite complémenter les changements de culture en déléguant une partie de la démarche à des personnes influentes dans les projets.
Antoine: C’est comme si une démarche qualité était un vrai sujet de culture organisationnelle?
Oui exactement, et la seconde brique nécessaire sont de réels moyens au regard des objectifs fixés.
On voit plusieurs cas de figures, des entreprises motivées mais sans moyens, d’autres avec des moyens mais pas de compétences pour les utiliser.
Pour réussir il faut vraiment qu’il y ait une symbiose, j’ai vu peu d’organisations aller jusqu’à un bon de niveau maturité en CI/CD et automatisation.
Je suis assez morose sur l’évolution des mentalités, de la culture vis à vis de l’importance de la qualité logicielle.
Cette importance devient flagrante uniquement quand des entreprises ont pris le mur.
Antoine: Comme si l’organisation n’avait plus d’autres solutions?
En partie mais ce n’est pas par cet angle que cela se produit.
Dans un premier temps l’organisation est confrontée à une crise, se prend le mur, et est soumise à de fortes pertes pour l’entreprise.
C’est seulement passé ce moment que l’entreprise commence à considérer la qualité comme une solution structurelle.
Les organisations ont en fait besoin de voir ce qui se passe sans intégrer la qualité.
Quand nous sommes sollicités, on ne nous partage pas directement le contexte qui a amené à la démarche.
Mais par la suite, par le partage et l’échange, on obtient souvent des éléments relatifs à une crise que l’entreprise a dû passer.
Les organisations doivent vivre ce qui se passe sans la qualité pour réagir.
Christian Sayegh
Même à ce niveau, il reste nécessaire de valider la réelle allocation d’un budget.
La réponse “Un budget? Oui, on verra ça dans un second temps” est pour moi une alerte qui peut me mener à ne pas effectuer le projet.
Cela rejoint le manque de considération de la qualité logicielle.
Le directeur général ou financier veut savoir combien la démarche va faire gagner, pas ce qu’elle évite de perdre ou permet hypothétiquement de gagner.
D’où malheureusement le besoin d’avoir une crise pour faire changer les mentalités.
Antoine: As-tu au fur et à mesure de ces années, en quête de qualité, des contenus qui t’ont aidés?
Je n’ai pas un contenu spécifique en tête, il y a beaucoup de contenus existants par les conférences, l’ISTQB, les groupes de meetups.
Personnellement j’apprends beaucoup par l’expérience, en étant attentif dans l’exécution et en faisant des rétrospectives.
L’objectif étant d’améliorer mes pratiques à chaque projet par la prise de recul.
Cette citation d’Oscar Wilde est pour moi une source d’inspiration.
L’expérience est le nom que l’homme donne à ses erreurs.
Oscar Wilde
L’acquisition d’expérience se fait souvent par des erreurs, des choses qui ne fonctionnent pas comme prévus, c’est ce qui permet de progresser.
Aujourd’hui la chance avec la structure que l’on a créé, nous avons un partage via les divers projets que nous menons.
En complément, échanger avec d’autres personnes, des pairs confrontés à des problèmes similaires est aussi un réel apport.
Comme dans la dernière table ronde à laquelle nous avons participé, on se rend compte que c’est un problème pour tout le monde, sans avoir une solution magique au sujet.
Soyez curieux, intéressez-vous, allez sur les forums, des événements, les contenus ne manquent pas.
Je n’ai rien contre les livres et la théorie, ça permet de partager et d’échanger, la pratique reste pour moi la clé pour progresser !
Les points clefs de notre échange
- La mentalité des équipes doit évoluer pour intégrer plus tôt la qualité
- Les modèles sont utiles, mais la réalité du terrain reste différente
- La qualité a du mal à être valorisée et reconnue comme une réelle démarche
- Le manque de moyens humains et financiers est une problématique récurrente
- Un sponsor est un pilier nécessaire pour initier une démarche de qualité
- La nécessité des organisations de vivre une crise pour réagir
- L’importance du questionnement et de l’écoute pour cerner le contexte