La qualité de l’ingénierie n’est pas nécessairement la priorité des organisations.
Mais bâtir une qualité d’entreprise peut devenir un avantage concurrentiel.
C’est la question à laquelle nous avons répondu lors de notre dernière table ronde «La qualité, nouveau défi stratégique pour les organisations?»
Je remercie les participants pour leur participation et contribution :
- Arnaud Dutrillaux, QA Lead chez Synthesio
- Iman Benlekehal, spécialiste en Assurance Qualité Logicielle
- Johann Gaggero, Head of Omnichannel QA chez LVMH
Nous avons partagé nos expériences pour répondre à différentes questions :
- Comment intégrer la proposition de valeur de la qualité ?
- Qu’est-ce que la qualité peut apporter à l’organisation dans sa globalité ?
- Quelles capabilities pour une qualité logicielle d’entreprise ?
- Vers quelles métriques les organisations doivent-elles évoluer ?
- Quelles pratiques pour développer des capabilities de qualité d’entreprise ?
- Comment faire évoluer la maturité de l’organisation ?
- Comment la “QA” peut-elle éviter d’être un autre silo ?
- Comment intégrer les différentes dimensions de la qualité, au plus tôt ?
- Comment les entreprises vont-elles répondre aux enjeux de qualité ?
Rejoignez la QE Unit pour accéder aux contenus et partages de la communauté.
Comment intégrer la proposition de valeur de la qualité ?
La perception de valeur de la qualité est un prérequis fondamental.
Une qualité restant perçue comme une activité de contrôle, en bout de chaîne, a posteriori, sera peu valorisée par les acteurs.
Cela peut sembler une équation insolvable, comment inverser cette tendance ?
En fondation, un leadership est nécessaire pour prendre l’initiative de formaliser une démarche qualité à défendre jusqu’aux sponsors.
Identifier, formaliser et influencer la vraie valeur de la qualité requiert de combiner plusieurs éléments :
- Une compréhension et formalisation des enjeux et objectifs stratégiques de l’organisation
- Une analyse factuelle du contexte identifiant les facteurs limitants de l’organisation, actuels et futurs, si aucun changement n’est initié
- Une réelle capacité de formalisation, communication et influence pour articuler une démarche qualité en support des enjeux métier
Vous pouvez consulter cet article contenant les questions à se poser pour identifier la valeur de la qualité pour l’entreprise : Les 10 Questions Concrètes Pour Un Quality Engineering d’Enterprise
Prenons quelques exemples où nous pouvons sortir des sentiers battus de la seule réduction de risque.
Qu’est-ce que la qualité peut apporter à l’organisation dans sa globalité ?
La qualité peut venir challenger la valeur apportée par le produit en combinant deux perspectives complémentaires :
- “Build The Right Product” : L’analyse de la pertinence des exigences
- “Build The Product Right” : La vérification traditionnelle des exigences
L’ordre de ces points n’est pas anodin, la qualité peut apporter une amélioration des investissements de l’entreprise en alignant la priorité du produit en amont.
Cela peut amener ce type de questionnements :
- QA: “Mais que fait le Product Owner, ce n’est pas à lui de valider la pertinence de la roadmap ?”
- PO: “Pourquoi cette personne de la QA vient me challenger hors de son scope ?”
En effet, la maturité de l’organisation est un réel sujet à adresser, que nous partageons sur une section suivante.
En attendant, la qualité peut apporter d’autres bénéfices comme la stabilité de l’expérience client, évoluer la culture customer-driven, réduire le nombre d’heures supplémentaires, le ratio de turn-over, accélérer les cycles de livraison.
Nous identifions ici des compétences structurelles de l’organisation, au-delà de matrices de tests, améliorant le système et l’organisation dans sa globalité.
Parlons donc des capabilities pour une qualité logicielle d’entreprise.
Quelles capabilities pour une qualité logicielle d’entreprise ?
Plus souvent utilisées en architecture, les capabilities méritent de s’arrêter sur leur définition et d’en faire le possible parallèle avec la qualité.
“Les capabilities sont un concept d’entreprise important qui décrit les capacités ou les compétences d’une organisation, reliées aux enjeux et objectifs stratégiques de l’organisation.”
Les capabilities sont donc bien transverse et orientées métier, nous ne nous arrêtons pas à vision locale du système.
Délivrer du logiciel de qualité avec vélocité, collecter de la donnée pour comprendre l’adéquation au besoin du client, et s’adapter ne sont-elles pas des compétences transverses recherchées ?
“Elles sont généralement assez stables et, bien que les processus, les fonctions et les rôles de l’entreprise changent assez fréquemment, les capacités changent moins fréquemment. Lorsqu’elles changent, c’est généralement en réponse à un moteur stratégique ou à un changement.”
Cette perspective de fondations ayant un cycle d’évolution moins fréquent que la partie émergée de l’iceberg semble être un bon investissement,
Ne parles-t-on pas de démarche qualité visant à créer un écosystème plutôt qu’un projet de mise en place d’un outil de test ?
“Elles fournissent un point de départ utile pour cartographier les éléments de niveau inférieur tels que les processus et les fonctions métier, l’organisation, les applications et les actifs technologiques. Elles nécessitent généralement une longue période de temps pour être livrées, couvrent souvent plusieurs secteurs d’activité et impliquent plusieurs portefeuilles et projets.”
Elles nécessitent bien de réels investissements et une transversalité dans l’organisation, peu de raccourcis sont possibles.
C’est ce qui les rend également difficilement imitables, au bénéfice de se transformer en véritable avantage compétitif.
Arnaud nous a rappelé cette citation adéquate dans ce contexte de réflexion.
Sans données, vous êtes juste quelqu’un avec une opinion.
W. Edwards Deming
L’industrie du logiciel a d’ailleurs corrélé la présence et le niveau de développement de capabilities avec la performance métier de l’organisation dans ce rapport Accelerate.
Cela pose d’ailleurs la question de l’évolution des métriques de l’organisation.
Vers quelles métriques les organisations doivent-elles évoluer ?
Focalisons nous sur les pointeurs clefs, les métriques méritant des livres entiers à elles-seules.
Mettons de côté les traditionnelles métriques métiers qui doivent être en place dans tous les cas : NPS, activation client, taux de réachat, etc.
Notre réflexion nous a amené à considérer les capabilities comme l’étoile à suivre à long-terme, au-delà des projets.
Les métriques doivent donc évoluer vers celles des capabilities.
Sur le prisme DevOps, elles se retrouvent balancées entre la performance organisationnelle et la productivité.
Je suis convaincu que certaines métriques organisationnelles doivent être définies pour une qualité logicielle.
En attendant d’avoir des données pour le corréler, nous pouvons déjà nous baser sur ces cinq piliers fondateurs :
- Fréquence de déploiement
- Délai de livraison de fonctionnalités
- Taux de disponibilité des services
- Temps de restauration du service
- Taux d’échec des changements
Les initiatives et compétences à développer doivent permettre d’améliorer cette performance organisationnelle, au service de l’entreprise.
Quelles pratiques pour développer des capabilities de qualité d’entreprise ?
Les priorités doivent être définies par contexte, les axes stratégiques, la situation existante et l’écosystème étant propres à chaque organisation.
Néanmoins, de grandes thématiques se démarquent.
La première est un investissement en performance organisationnelle permettant de créer un contexte favorable aux acteurs du système.
On y retrouve la création d’un climat de confiance, de pouvoir prendre des risques maîtrisés, en autonomie, sans se faire remercier à la moins erreur.
Une culture favorisant le développement personnel, le partage et l’atteinte de résultats est l’autre facette clef.
On y retrouvera des bénéfices tels que l’amélioration de la productivité, réduction du taux d’absentéisme, burn-out, complété par une attraction et rétention de talents.
Garder une balance entre bien-être et culture de la performance est nécessaire, à trop s’axer sur le bien-être nous créons un country-club.
Antoine Craske
La seconde catégorie est axée sur l’aspect d’architecture, processus et plateformes technologiques.
On y retrouve les points de maintenabilité du code, d’architecture modulaires, scalables, observables, supervisées, etc.
C’est dans ces choix que se retrouve l’aspect de priorisation tactique des projets au service du développement des capabilities.
Faut-il encore avoir la maturité nécessaire de l’organisation.
Comment faire évoluer la maturité de l’organisation ?
Organiser une réunion avec tous les acteurs pour leur parler de la qualité.
Même si cela peut paraître une bonne idée à première vue, cela s’apparenterait plutôt à une roulette russe.
Il est important de savoir jauger sa maturité avant d’essayer de la faire évoluer.
Pourquoi ?
Évoluer la maturité d’une organisation revient à mener un projet de gestion du changement, oú certaines actions sont plus adaptées en fonction de différentes phases.
Je suis convaincu qu’on ne gère pas le “changement” en tant que tel, mais bien des livrables définis pour passer trois états stables organisationnels : le deuil, la zone neutre, le renouveau.
Ces trois phases doivent être passées pour les acteurs qui doivent évoluer leur mentalité sur la qualité.
Charge à vous de définir les objectifs et livrables de chaque itération que vous menez, en gardant à l’esprit que nous ne parlons pas que d’outils.
C’est en fait en série de victoires qu’il faut mener de front.
Par exemple, vous pouvez faire évoluer la perception métier de vos deux ingénieurs qualité en les envoyant une semaine auprès des utilisateurs de l’application, ils passeront probablement un niveau sur la période.
Pour évoluer celles de vos stakeholders, ce processus peut être de plus longue haleine et plus ardu, n’ayant pas accès à la même disponibilité temporelle, visibilité et langage commun.
Convaincre de la pertinence de la qualité reste un défi dans les organisations de par les autres priorités déjà définies, qui n’ont souvent pas intégré la qualité.
Il faut donc se battre pour éviter que la QA reste organisationnellement enfermée.
Comment la “QA” peut-elle éviter d’être un autre silo ?
Sortir de l’organigramme défini peut sembler impossible dans certaines organisations.
Les modèles d’organisations ont de mon point de vue deux points importants :
- Ils orientent fortement les modèles mentaux des acteurs une fois communiqués
- Ils représentent des groupes sans représenter les interactions qui sont clé du changement organisationnel
Sont-ils donc inutiles ?
Au contraire, définir un cadre reste important et nécessaire pour une entreprise organisée et avec une clarté des rôles.
Néanmoins, certains détails doivent être incorporés pour faire la différence.
Dans un organigramme, une QA positionnée loin du métier, en bas et bout de chaîne du schéma, passera clairement un message de contrôle qualité à posteriori.
La QA peut être positionnée avec des perspectives différentes.
Un membre de QA dans chaque équipe transverse (cross-fonctionnelle, feature-team, …) à côté du métier, passera bien un message de collaboration à prendre en compte en amont.
Une équipe horizontale transversale de QA en support aux autres équipes, du business aux opérations, animant une communauté de pratique, sera bien mieux perçue par les acteurs.
Les modèles mentaux sont donc importants, car ils influencent la manière dont les acteurs ont intégré la QA et les possibles interactions.
Interactions qui sont effectivement peu représentées sur un organigramme.
Avez-vous déjà vécu des grandes “réorganisations” ou « restructurations » n’ayant rien changé à la réalité d’une entreprise ?
Les changements opérés ont très probablement ignoré que les changements d’interactions entre les acteurs du système étaient nécessaires pour opérer de réels changements.
Représenter des flèches ou faire des slides dédiées à la partie d’interactions entre acteurs, montrer la différence entre aujourd’hui et demain fera donc la différence.
Voici un exemple de représentation, à adapter pour la qualité et à évaluer sur les sept modes d’interactions possibles.
Avez-vous clairement affiché que la QA devait être au plus proche du client final et en collaboration active du métier jusqu’aux opérations ?
C’est un élément nécessaire pour éviter une QA en silo.
Les objectifs de ces modes organisations étant d’intégrer plus tôt les différentes dimensions de la qualité.
Comment intégrer les différentes dimensions de la qualité, au plus tôt ?
Je vous passerais les graphiques traditionnels, une phrase étant suffisante.
Le coût du changement augmente avec le temps, quasi exponentiellement en se projetant jusqu’à la période de maintenance.
Je garde souvent cette phrase en tête “Changer les plans d’une maison sur papier est facile, ensuite c’est une autre paire de manches”.
Réussir à intégrer les dimensions de la qualité en amont, au plus tôt, apportera donc une réelle valeur dans les livrables qui seront construits en plus d’une réduction du risque.
L’industrie logicielle y ajoute un second élément.
Le logiciel va évoluer en continu et avoir tendance à se complexifier
La gestion de la dette technique doit être au service de la pérennité produit pour l’entreprise, en contenant sa tendance naturelle à l’entropie.
Iman nous partageait d’ailleurs la mise en place d’ateliers uniquement focalisé sur le besoin avec le métier, sans forcément expliciter l’application d’une ingénierie d’exigence.
C’est un vrai exercice de communication et d’influence, il faut réussir à garder les acteurs focalisés sur leur besoin, contexte et problèmes à résoudre sans tomber dans la génération de possibles solutions.
La formation, pratique et résultats positifs permettent de rendre ce processus naturel pour les équipes par la suite.
La qualité nécessite donc bien une transversalisation, son objectif étant sur certaines activités de ne plus en être l’acteur, mais bien d’avoir appris à pêcher, au lieu de donner le poisson.
Comment les entreprises vont-elles répondre aux enjeux de qualité ?
Arnaud nous partageait une perspective intéressante.
Il y a 30 ans les testeurs n’existaient pas, vont-ils disparaître par la transversalisation de la qualité ?
Arnaud Dutrillaux
Bonne question, notre dernier exemple montrait que sur certaines activités la qualité devrait bien s’intégrer dans les chaînes de valeur par les acteurs existants.
Plusieurs éléments sont à prendre en compte :
Il faut influencer la culture et changer les mentalités de l’organisation pour intégrer la qualité.
Ce travail peut être réalisé par une personne en charge de la QA, mais aussi par un responsable du développement, ou un sponsor déjà convaincu.
Le contexte est donc clef et peut être différent entre organisations.
La qualité requiert de réelles compétences plus ou moins transférables, certaines étant accessibles à d’autres acteurs, d’autres seront plus automatisées à moyen-terme, et de nouvelles apparaissent et apparaîtront.
Par exemple, un business analyst doit être en capacité de réaliser l’ingénierie des exigences intégrant la qualité.
Pour quelqu’un du métier ou auxiliaire, il peut être difficile d’aborder un outil de définition des customer journeys, configurer et exécuter les cas de tests même avec une interface graphique.
Si ces outils sont plus automatiques, intelligents et abordables aux acteurs, cela permettra de rendre la qualité accessible à d’autres acteurs.
Entre-temps, d’autres techniques et dispositifs apparaissant, la QA devra appréhender de nouvelles compétences et techniques. La sécurité et l’IoT en sont un exemple ces dix dernières années.
La qualité doit donc se voir comme un système performant mettant sous contrôle des processus standardisés, en les automatisant, déléguant, afin de se focaliser sur des tâches à plus fortes ajoutées.
Ces tâches sont focalisées à faire évoluer la culture, la maturité et les compétences des autres acteurs, et également à acquérir les nouvelles compétences au plus tôt, gardant une longueur d’avance sur les dimensions de la qualité à intégrer de bout-en-bout.
Au vu de la valeur apportée requérant une réelle maîtrise de changement à impact global, la qualité est bien l’un des défis stratégiques des entreprises.