Intervenir dans un contexte technologique a tendance à nous associer uniquement à ce seul prisme. Pourtant, la création de valeur par la technologie démarre par l’entreprise, ses clients et ses enjeux.
Iman Benlekehal est régulièrement intervenue dans les tables rondes, en partageant l’importance du “Pourquoi” et du “Pour quoi”. Elle est également à l’origine du concept “Shift-up & Spread”, avant de parler de Shift-left ou de Shift-right.
Dans cette interview, Iman nous partage sa perspective pour une Qualité apporteur de valeur pour les organisations. Son expérience et parcours nous font prendre du recul sur nos pratiques, que je vous laisse découvrir.
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À propos d’Iman Benlekehal
Avec 15 ans d’expérience dans les technologies de l’information dont 13 ans en assurance qualité (en France et aujourd’hui au Canada), j’ai développé une solide compréhension de la définition, des attributs et des défis que la qualité logicielle exige.
Rapidement passionnée par le métier de l’essai, que j’ai découvert lors de ma première expérience, j’ai eu l’opportunité d’approfondir mes connaissances dans divers secteurs (Banque, Finance, Automobile, Trains, Retail, Ressources Humaines, Télécom, et Publicité). De simple testeur à test manager, et maintenant Spécialiste Assurance Qualité, j’ai rapidement évolué vers des fonctions de management, ce qui nécessite de fortes compétences humaines.
Ma capacité d’adaptation à d’autres cultures, mon esprit critique et ma capacité d’observation et de communication, me permettent d’établir et d’entretenir facilement des relations de confiance entre toutes les parties prenantes (clients et différentes équipes). Grâce à mon leadership naturel et à la transparence et la responsabilité de tous, j’ai pu créer un environnement stimulant et collaboratif avec un fort esprit d’équipe qui m’a permis d’affronter sereinement des situations inattendues de forte pression.
En parallèle de mon activité professionnelle, j’ai également renforcé mes connaissances à travers des certifications internationales (ISTQB et ITIL), un Master en Management des Systèmes d’Information et Conseil (obtenu en 2015) et plus récemment Safe 5.
Aujourd’hui, je me sens prêt à assumer de nouvelles responsabilités et de nouveaux défis. Partager plus largement mes expériences (hors de mon entreprise), participer à des conférences et tables rondes pour explorer de nouvelles idées font partie des nouveaux domaines que je recherche. Partager les points de vue des autres et collaborer à ce qui définit le travail et les responsabilités de l’assurance qualité logicielle aujourd’hui et demain et largement la définition de la qualité sont également mes prochains objectifs.
Antoine : Peux-tu commencer par te présenter?
J’ai une quinzaine d’années d’expérience dans le test dans différents domaines et secteurs. Cette diversité était pour moi importante, en explorant par exemple des secteurs normés et non normés. J’ai fait une partie de mon expérience en France pour ensuite aller à l’international au Canada, plus précisément au Québec.
J’ai beaucoup déménagé dans mon enfance, tous les 3 ans en moyenne, jusqu’à mes 20 ans. Par la force des choses, les pays étaient complètement différents en termes de culture, langues et contextes. J’ai à chaque fois suivi un cursus national, où je devais apprendre la langue locale et m’adapter de nouveau. Mon père m’a dit que j’allais le remercier plus tard et je le reconnais aujourd’hui.
Ces changements m’ont permis de développer mes capacités d’adaptation et d’observation, qui font partie intégrante de ma personnalité. J’utilise ces compétences dans les différents projets auxquels je contribue. Mon approche à la fois neutre et curieuse m’est utile pour analyser chaque projet avec un regard neuf. Ma soif d’apprendre des autres est forte, c’est en partie pourquoi j’aime mon métier dans la qualité.
Antoine : Si tu prends du recul par rapport à tes expériences, quels sont les sujets prioritaires que tu adresses ?
Ma réponse va être applicable internationalement, l’ayant vécu dans des contextes et pays différents.
Le premier sujet est l’incompréhension de la proposition de valeur de la qualité. Les interlocuteurs ont rarement la bonne ni la même compréhension de notre niveau d’intervention, avec les diverses conséquences que cela implique. C’est un manque récurrent que j’observe dans la plupart des projets. Beaucoup d’organisations voient encore la qualité associée à des tests réalisés après les développements. Quand on commence à poser des questions dès l’analyse, certaines personnes sont réellement surprises.
La deuxième observation est celle des silos naturels. Même si on travaille en modèles agiles, que nous travaillons dans la même équipe, on perd du recul. On va avoir tendance à creuser uniquement ce que nous avons analysé, se perdant dans des détails auxquels nous n’arrivons plus à trouver de sens. C’est valable pour une analyse fonctionnelle, un test; on creuse en pouvant facilement perdre de vue les objectifs plus importants. Quelqu’un arrivant de l’extérieur du projet aura ce recul mais pour les acteurs projets, c’est loin d’être naturel.
“Nous devons constamment combattre les silos naturels des organisations.”
Iman Benlekehal
Le troisième point est celui de la communication, un thème de plus en plus complexe avec les organisations distantes. On arrive d’ailleurs parfois à mieux se comprendre en parlant une langue étrangère. J’ai tellement vu d’échanges trop rapides assumant la compréhension mutuelle par un “On est d’accord? Oui”. En réalité, de vrais fossés de perception et de compréhension sont souvent présents entre les acteurs. Savoir poser des questions, reformuler, contextualiser est plus que nécessaire. Certaines personnes réagissent d’ailleurs mal au questionnement, parfois par impatience ou égo. Les présuppositions et hypothèses non exprimées créent de réels problèmes dans les projets par la suite.
Antoine : Quelles sont pour toi les forces de la Qualité ?
Les projets réussissent quand tout le monde comprend les objectifs et le sens de ce qu’ils font : pour les clients, l’entreprise et le produit. L’équipe doit savoir répondre au “Pourquoi” et au “Pour quoi”. L’absence d’alignement est une cause des silos naturels que je mentionnais, oú les efforts vont diverger sur des objectifs différents. Chaque personne aura tendance à se définir des objectifs par rapport à son rôle. Ce qui m’intéresse c’est de définir des objectifs transverses par rapport au produit, à maintenir communs et à animer par rôle.
“Ce qui m’intéresse c’est de définir des objectifs transverses tout en maintenant un alignement entre les différents rôles.”
Iman Benlekehal
Le second gage de réussite est celui de la collaboration. Si on a les mêmes objectifs avec une compréhension des deux pourquoi, la collaboration va nous permettre d’ajouter une qualité supérieure au produit. Elle va favoriser l’échange, l’empathie et un meilleur recul des actions de l’équipe.
Antoine : Quelles menaces considères-tu pour faire de la Qualité ?
Pour les faiblesses, les points précédents de manque de compréhension, de communication et les silos restent valides. J’ajouterais la hiérarchisation des intervenants comme un réel danger pour les équipes. Cela peut être les Dev/QA, Chef de Projet/Client, Interne/Externe. Cette hiérarchie de valeur est au-delà des silos fonctionnels et crée des problèmes dans l’exécution. Une partie sera plus ou moins écoutée, générant un déséquilibre des objectifs, de l’implication et du sens. La hiérarchisation des équipes est un réel facteur d’échec des projets.
La mauvaise gestion des risques est également récurrente, avec des variantes d’aversion au risque culturelles. J’ai eu le sentiment en France que les risques sont par exemple malvenus, créant une tendance à éviter de les mentionner. Au contraire, détecter, gérer et communiquer les risques est nécessaire dans des projets où le contexte évolue constamment. Adresser les risques n’est pas qu’un exercice solitaire réservé au chef de projet ou au QA. C’est un véritable exercice qui aura de la valeur en étant collaboratif, transparent et régulier.
“La transversalité de la Qualité va bien au-delà de la technicité.”
Iman Benlekehal
J’ajouterais une dernière faiblesse que j’observe plus souvent avec des chefs de projet et des directeurs de projet, celle de la prise de contrôle. Cela se manifeste par un comportement directif laissant peu d’autonomie aux équipes. Un exemple est la phrase “C’est comme ça et pas autrement”. Ce type d’attitude souvent auto-proclamé revient à hiérarchiser une personne au-dessus de l’équipe, comme si elle avait plus de valeur, créant un réel désengagement des équipes. Cela n’invite pas à la collaboration, à la créativité ou à la pro-activité, augmentant la probabilité d’échec du projet.
Ces facteurs sont symptomatiques à certaines organisations qui doivent se prendre un mur, ou des murs pour réagir. On pourrait presque vouloir les pousser à faire du Fail Fast pour limiter la casse et changer au plus vite.
Antoine : Si on bascule en temporalité, quelles opportunités identifies-tu pour la Qualité ?
La pandémie COVID a clairement accéléré la prise de conscience de l’importance et de la place des technologies dans l’entreprise. J’aime revenir dans le temps et faire des parallèles avec le passé, sans prendre les choses isolément. Lorsque l’on voit l’évolution de la place de l’IT dans les entreprises, sa compréhension et même dans nos vies, cela a grandement changé.
Notre quotidien est submergé d’outils digitaux et de technologies, avec plus d’offres que de demande. Cette réalité est applicable aux entreprises et celles niant ce fait, laissant l’IT à part et au sous-sol, se sont fait rattraper par l’accélération de la digitalisation. Certaines organisations ont survécu grâce à la technologie. Cette pandémie a fait plus rapidement changer la perspective et la place des technologies dans les entreprises. Comme pour les humains, certaines ont compris en observant d’autres acteurs et initié une transformation plus profonde, tandis que d’autres vont avoir besoin de le vivre pour changer.
J’utilise une technique pour faire réagir une organisation qui est pour moi une opportunité. Je fais intervenir différents acteurs autour d’un produit, en combinant des rôles différents mais également en ayant des personnes extérieures au produit ou projet. Indirectement, à un moment ou un autre, des parties prenantes seront impactées. Je m’attelle souvent à avoir le chef de projet, des gens de la direction et si possible le CEO.
L’objectif de l’atelier est de les laisser s’exprimer sur leur perception de la qualité. La subjectivité de la qualité n’est pas naturellement comprise par les acteurs. Par l’échange, les personnes vont commencer à échanger leur perception et raisonnement. L’empathie s’améliore petit à petit tout en créant du lien et de l’engagement. Cet échange a pour objectif d’aligner le niveau de qualité attendu par les différentes parties prenantes par l’échange, loin des silos. Ces ateliers réveillent souvent les équipes, tout le monde pense avoir raison et finit par comprendre qu’un objectif commun aligné est plus important.
Antoine : Pour les menaces, lesquelles te semblent les plus à risques ?
En lien avec l’accélération de la digitalisation, les personnes n’ayant pas compris la place des TI dans les entreprises sont une menace. Le manque de compréhension de la proposition de valeur des technologies, pas seulement de la qualité, met en péril la survie et le développement d’une organisation. Les priorités d’investissements et des équipes ne seront pas au bon endroit ou en tout cas, limitées en création de valeur. Le COVID a aidé à réduire cette menace, mettant en exergue les acteurs ayant réussi ou non à survivre par le digital.
L’humain en tant que tel reste une menace par ses difficultés et lenteurs à changer. La conduite du changement est d’ailleurs un réel sujet à adresser. On observe ces fragilités dans les évolutions organisationnelles, comme par exemple pour la place de la qualité dans les organisations. Le changement individuel est un challenge d’autant plus complexe quand il doit s’adresser culturellement au niveau d’une organisation. Les ateliers collaboratifs, du temps et de l’importance à la conduite du changement sont nécessaires pour réduire cette menace.
Antoine : As-tu des pratiques que tu trouves régulièrement efficaces pour adresser la Qualité ?
Je peux démarrer par le Shift-Up & Spread partagé lors des précédents échanges. Trop de profils de qualité ont tendance à trop se focaliser sur des techniques, outils et technicités de tests. Si les développeurs et plus globalement l’équipe n’a pas compris les objectifs, ces efforts techniques seront vains. Si les directeurs imposent des dates de livraison arbitraires sans donner de sens, on sera également loin d’être efficaces.
“Le Shift-up & Spread permet d’aligner le niveau de qualité attendu dans l’organisation.”
Iman Benlekehal
Il faut regarder au-delà de notre équipe, de notre projet au niveau de notre entreprise et jusqu’aux clients. Le niveau de qualité attendu défini en collaboration doit premièrement être défini, c’est le Shift-Up. Le Spread consiste ensuite à aligner les pratiques, méthodologies et outils dans les équipes. Il faut maintenir une attention particulière à se concentrer sur la valeur que l’organisation cherche à atteindre.
Les QA Manager, Test Manager, peu importe – ceux qui doivent être leader de la qualité – doivent avoir de solides compétences d’observation. Il y a plein d’éléments indirects et signaux faibles auxquels il faut être sensible. Le succès du projet et du produit doit rester l’étoile à atteindre. Il faudra trouver des accords, faire des compromis, négocier. C’est là qu’il faut investir son énergie et considérée comme une priorité.
Antoine : Quels apprentissages tires-tu en transversalisation de la Qualité ?
Effectivement sur certaines expériences j’ai perdu beaucoup d’énergie à essayer de changer tout le monde. J’étais convaincue de pouvoir réussir pour l’ensemble des intervenants. J’ai mis du temps à m’en rendre compte mais il y a un petit pourcentage de personnes qui ne veulent pas évoluer.
Essayer de les changer est une peine perdue, qui serait trop longue et consommatrice de temps. Ce n’est pas que ces personnes n’en valent pas la peine, c’est que nous n’avons pas le temps. Quel que soit le contexte, le changement ou les propositions, ces individus ne voudront pas bouger. Ma méthode, encore une fois par l’observation, c’est de réussir à les reconnaître et à prioriser nos efforts. M’étant cassé les dents sur quelques personnes, elles sont maintenant assez aiguisées pour les reconnaître 🙂
“Il faut rester inclusif en sachant choisir ses combats et sur qui s’appuyer pour conduire le changement.”
Iman Benlekehal
Mon objectif est d’identifier les gens qui vont être porteurs de la transformation et de la conduite du changement. Je tiens également à inclure et laisser s’exprimer les parties prenantes, il faut donc également inclure les suiveurs dans la démarche. Le fait de donner son point de vue, de se sentir écouté et valorisé fera agir différemment la personne dans la suite du projet. Cette mixité est également apporteuse de valeur.
Je suis par exemple quelqu’un de plutôt cartésien, qui aime la logique. Néanmoins, je rencontre des profils plutôt rêveurs et différents de ma personnalité que je trouve réellement enrichissante. Même si parfois ils auront tendance à aller trop loin sans que j’y vois directement la logique, le partage challenge mon raisonnement. Garder une inclusion est donc plus qu’utile dans notre conduite du changement.
Antoine : Vois-tu d’autres points principaux à considérer pour une Qualité à plus forte valeur ?
L’unicité de chaque projet, produit et contexte est un point important à considérer. Chaque contexte est différent, et de ce fait, notre approche doit être adaptée. Une technique particulière peut être efficace ou au contraire complètement contre-productive dans un autre.
Même si certaines caractéristiques seront communes, les contextes seront naturellement différents à beaucoup d’égards. Ce n’est pas parce qu’on a été en Thaïlande que l’on connaît la Malaisie et encore moins toute l’Asie. Partir de ce principe nous aide à garder une approche neutre à chaque projet, améliorer notre prise de recul et capacité d’observation.
“Chaque projet est unique, il faut savoir rester neutre, observer et s’adapter.”
Iman Benlekehal
Cela renforce également notre humilité, ce n’est pas parce qu’on a fait un projet dans un contexte similaire que l’on réussira un futur. Nous avons d’ailleurs besoin de recul pour jauger le niveau de culture qualité de l’entreprise. Le niveau de maturité aura des implications fortes sur le niveau d’investissement à réaliser en conduite du changement et prioriser nos efforts au bon endroit. Nous devons également bannir l’utilisation de “devrait”, plein de suppositions rarement validées. La qualité est relative et il faut savoir l’adapter à son environnement.
Antoine : Sur un volet personnel, quelles références, citations ou personnes t’inspirent et continuent à t’inspirer ?
J’ai apprécié la lecture de Leading Quality, poussant à aller chercher la direction dans notre approche qualité, tout en restant facile à lire.
Au niveau de la communication, je suis en train de lire Je suis un chercheur d’or de Guillaume Dulude. C’est un ouvrage consacré à la communication interpersonnelle qui vulgarise des sujets complexes avec des techniques actionnables. Certaines situations nous font réfléchir, comme celle d’un match de foot où un seul regard peut suffir pour que deux personnes se comprennent, sans communication formelle.
Je suis quelqu’un qui très curieuse de l’humain, de la diversité et d’aligner des perspectives différentes. C’est pour moi un aspect important pour une Qualité d’entreprise.
Contenus évoqués
QE Unit, La Qualité. Sans Tester. https://qeunit.com/fr/blog/la-qualite-sans-tester/
The QA Lead, interview d’Iman Benlekehal avec Le Shift-up and Spread https://theqalead.com/topics/shift-up-and-spread-a-new-testing-concept-w-iman-benlekehal/
Guillaume Dulude, Je suis un chercheur d’or https://www.amazon.ca/suis-chercheur-dor-mécanismes-communication/dp/2761950054
Ronald Cummings – John, Owais Peer, Leading Quality : How Great Leaders Deliver High Quality Software and Accelerate Growth https://www.amazon.com/Leading-Quality-Leaders-Software-Accelerate/dp/1916185800
The Leading Quality Book Official website https://www.leadingqualitybook.com