Anass El Bekali nous partage sa perspective d’une qualité du SI transverse, au service du client dans cet interview de la QE Unit.
Fort d’une expérience dans des secteurs variés, des organisations complexes et diverses missions réalisées, Anass nous partage ses pratiques et anecdotes concrètes.
Il nous apporte des points structurants sur l’amélioration continue, le coût de la non-qualité, l’argumentation auprès de décideurs.
Ce partage nous amène à des pistes de réflexions pour une qualité au cœur des SI, collaborative, itérative, pérenne et au service de la satisfaction client.
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À propos de Anass El Bekali
Avec plus de 22 ans d’expérience dans les projets informatiques dont 17 ans dans la gestion des tests et des exigences, ce Franco-Marocain a accompagné plusieurs grands comptes dans l’industrialisation et la qualification de leurs systèmes d’information.
Aujourd’hui, il est CEO de QSI Conseil, Président du CMTL (Comité Marocain des Test Logiciel) & Réfèrent Test pour l’association 10000Codeurs en Afrique. Il compte à son actif plus de 150 sessions de formation ISTQB/IQBBA/IREB, 50 missions de Conseil, 30 Audit TMMi, 7 centres de Services Testing.
Antoine : Peux-tu commencer par te présenter?
Je suis président et co-fondateur de QSI Conseil, spécialisé dans la qualité logicielle, plus précisément les tests et la gestion des exigences. Je suis également Président du CMTL, le Comité Marocain de Tests Logiciels, représentant de l’ISTQB au Maroc. On veille à ce que la qualité logicielle soit sensibilisée au sein des entreprises, nous certifions des centres de formation et formons aux différents syllabus. J’ai une dernière activité de référent Test auprès de l’association 10000Codeurs ayant pour but de sensibiliser les jeunes Africains aux métiers de l’IT.
Antoine : Quelles sont tes priorités dans la transversalisation de la qualité ?
Je vais répondre différemment au travers des activités que je réalise qui mettent en avant les besoins remontés. J’aide les entreprises à optimiser et industrialiser leurs processus de tests et de qualité logicielle de manière plus générale.
Le premier volet est de support, d’audit et de conseil au travers d’un accompagnement méthodologique, qui existe pour le test comme pour la gestion de projet. Je les aide à structurer leur référentiel de test en y articulant leurs exigences. J’interviens également sur des sujets organisationnels pour mettre en place des équipes de tests centralisées, distribuées, avec un centre de test mais également sur la professionnalisation des profils. J’accompagne les entreprises à définir les modèles de carrières et évolutions du métier de testeur, au travers d’actions de développement, formation, certification. Je structure également les démarches autour de la gestion des environnements, de l’infrastructure, des outils. Le panel est assez large couvrant les outils référentiels, de tests fonctionnels, de performance, etc.
Le second volet est celui de la formation. Nous délivrons les formations certifiantes et standards dans notre métier tels que ISTQB et ses différents niveaux Fondations, Test Agile, Test Manager. Nous fournissons également d’autres certifications reconnues mondialement dans la gestion des exigences, IQBBA, IREB, ou encore TMMI (Test Maturity Model Integration) qui définit un modèle de maturité á 5 niveaux pour les organisations, à l’instar du CMMI dédié au développement. C’est un cadre référençant plus de 100 bonnes pratiques sur le processus de test.
Plus spécifiquement sur la formation, nous supportons les reconversions professionnelles vers les métiers de la qualité logicielle. C’est une activité que nous avons lancé depuis 5 ans et qui se généralise. Ce sont des formations focalisées et orientées sur un métier spécifique, de business analyst, test analyst à automaticien.
Pour terminer, nous aidons également les entreprises à monter des centres de compétences de test, qu’ils soient sur le site du client ou à distance.
Antoine : Si on démarre un SWOT, quelles forces identifies-tu à la qualité logicielle et à sa transversalisation?
Avant de démarrer, je partage que le SWOT est une pratique fondamentale de l’amélioration continue, que je recommande à tout personne d’appliquer également à soi même.
Concernant notre métier, je dirais que la force de la qualité est dans sa prévention. Avant de corriger un bug, détecter un incident en production ou une anomalie, la prévention est plus importante. C’est un volet primordial qui est souvent oublié ou en tout cas pas assez considéré : “Il vaut mieux prévenir que guérir”. Cela implique de mettre en place des mécanismes de préventions au cœur des processus du développement logiciel. Notre intervention ne doit pas se limiter à un aspect technique, nous pouvons systématiser des mécanismes préventifs de revues, de rétrospectives, de formation.
La seconde force est pour moi de mettre l’innovation au centre du processus. Les méthodologies sont des guides utiles, mais une auto-organisation adaptée aura plus de valeur dans chaque contexte. C’est d’ailleurs un point que l’on retrouve dans le standard ISTQB : “Le test dépend du contexte”. L’adaptation de la stratégie ou politique de test en fonction du projet est supportée par l’innovation, l’auto-organisation, et l’adaptation des équipes.
Les méthodologies sont des guides utiles, mais une auto-organisation adaptée aura plus de valeur dans chaque contexte.
Anass El Bekali
J’identifie également la présence d’un réel leader, et non d’un “chef”, comme une force. Quelqu’un qui va stimuler les équipes, leur proactivité et créativité va favoriser un écosystème propice à la qualité logicielle dans sa globalité. Les équipes ont besoin d’une certaine liberté d’action pour adapter leur approche au contexte.
Je terminerais par un point personnel oú l’importance de faire aimer le métier est plus que différenciante. La motivation générée permet aux personnes qu’elles soient formées, reconverties ou en poste d’être bien plus dynamiques, auto-portées et positives au travail. C’est un élément fondateur de la performance.
Antoine : Au contraire, quelles faiblesses ou talons d’Achille identifies-tu?
Il y en a bien à adresser, que j’ai pu identifier au travers d’audits de plus de 30 entreprises dans des secteurs variés de banque, assurance ou distribution. Je préfère d’ailleurs parler de points d’améliorations plutôt que de points faibles, en regard de forces, comme pour les plans de développement que nous réalisons.
Un pilotage uniquement par les délais est encore trop récurrent, avec une pression trop forte sur les dates. Les défauts ne sont pas introduits par magie, ils le sont souvent par des erreurs humaines. Une des causes racines des erreurs humaines vient de la pression des délais. Le point d’effort est donc de rééquilibrer le fameux triangle d’or des coûts, délais et qualité, en gardant une maîtrise du risque et de la valeur apportée.
La deuxième faiblesse est souvent induite par des managers qui pensent que le “0 défaut” existe. Cette pensée pousse les managers à négliger la qualité dans une équation insolvable dès que le produit a un minimum de complexité. L’application de Mcdonald’s est un bon exemple si l’on va dans les extrêmes, avec plus de 10 millions de combinatoires possibles! On ne couvrira pas chacun des scénarios avec un cas de test. On apprend aux équipes à mettre la QA au cœur de projets et piloter par le risque en équilibrant valeur et effort, sur le modèle du RBT (Risk Based Testing).
Je partageais lors de notre dernière rencontre le cas d’un client qui avait misé sur l’automatisation, les outils, avec une équipe composée de 5 personnes. Même si le modèle fonctionnait à un instant donné, c’était une illusion de réussite, à court-terme. Au bout de 3 ans, la démarche a dû reprendre de zéro pour y inclure la QA dès le départ. Le testing n’était pas le métier des développeurs, qui ont perdu en motivation. Le système s’est complexifié, induisant une perte de compétences et de vision globale, souvent porté par la QA. C’est une illusion récurrente de la part de managers ou de DSI qui pensent pouvoir faire porter le test uniquement aux développeurs.
Les fondamentaux de qualité sont trop souvent négligés.
Anass El Bekali
Il y a également des choses faciles et banales qui sont trop souvent négligées. C’est le cas de la gestion de configuration, un fondamental dans la gestion de l’information et la collaboration. J’ai d’ailleurs une anecdote rencontrée lors d’un audit il y a quelques années. J’y ai trouvé un fichier tellement copié entre les membres de l’équipe, que le fichier s’appelait finalement “Copie de Copie de Copie …”. L’information n’était clairement pas maîtrisée. Les bases sont trop souvent prises pour acquises.
Je terminerais par le souci de productivité en lien avec les bénéfices financiers. Comme pour le pilotage abusif par les délais, la quête de profits à tout prix fait perdre de vue l’objectif de satisfaction client. Un décideur a souvent en ligne de mire deux objectifs, le time-to-market et la qualité, mais pas à n’importe quel prix.
Antoine : Basculons en horizontal dans notre SWOT et prenons une perspective extérieure. Quelles sont pour toi les opportunités pour une qualité plus transverse ?
Il est important de démarrer par le positionnement d’un projet de qualité dans l’entreprise et son apport potentiel de valeur. Tout d’abord, la qualité touche à l’ensemble de l’organisation, sans se limiter au produit en cours de développement. On parle du système d’information (SI) oú la qualité agit comme levier de mise en conformité du SI, utilisant des bonnes pratiques, des méthodologies.
Implicitement, cette transversalité peut et doit nous aider à rapprocher les directions métier et IT. Les silos sont encore très présents malgré des modèles Scrum ou Safe. La qualité doit faciliter la collaboration et casser les silos.
La qualité doit faciliter la collaboration et casser les silos.
Anass El Bekali
La qualité doit également permettre de maîtriser un facteur moins visible, celui de la non-qualité. Son impact en termes de coût est exponentiel pour les organisations. Maîtriser les paramètres de qualité et de non-qualité contribuent à améliorer la performance via le contrôle des coûts et l’accélération du time-to-market.
La perspective ressources est intégrante pour augmenter la valeur de la qualité. Des personnes qui sont formées, se professionnalisent, se développent pourront se sentir épanouies. Ce bien-être contribue à leur satisfaction, à mieux produire, et à rester engagés avec l’entreprise. On favorise un cercle vertueux.
Dans les basiques j’identifie l’amélioration de la détection préventive, de la fiabilisation des systèmes et de la satisfaction client.
Antoine : On voit effectivement depuis quelques années la qualité être perçue comme contributrice à la création de valeur, amélioration de la performance de l’entreprise et de la satisfaction client.
Un restaurant de bonne qualité, j’y retourne !
Antoine : À l’inverse, qu’est-ce qui peut t’empêcher de dormir dans le domaine de la qualité ? Quelles menaces identifies-tu ?
On retrouve beaucoup d’éléments contraires aux opportunités identifiées. Des cycles en V loin de la valeur client, des organisations complexes en silos, une négligence de la qualité et non-qualité. On voit souvent des cercles vicieux s’installer, se matérialisant par des symptômes concrets.
Je suis intervenu dans des organisations se focalisant sur la gestion de crise, celles des changements, incidents et problèmes n’étant plus suffisantes. La gestion de crise doit bien être organisée mais ne doit pas devenir la majeure partie des activités. L’impact sur la performance de l’organisation était significatif : satisfaction client, productivité, lancements d’initiatives, turn-over et j’en passe.
Le manque de confiance entre métier et IT finit par se matérialiser au délá des projets en échecs ou de l’augmentation des coûts de développements. Cette défiance est pour moi une vraie menace. Certaines directions finissent par réaliser des projets sans partager ni consulter la DSI, représentant un vrai risque à moyen et long-terme sur le SI.
Je terminerais par une dégradation de la satisfaction client, se matérialisant par une augmentation du nombre de réclamations clients, des contacts, et une baisse de la performance économique. Dans ce cas, la qualité n’a pas réussi à contribuer à l’apport de valeur, se retrouvant déconsidérée.
Antoine : On partageait que les guides sont utiles si complémentés par une analyse du contexte, du bon sens etc. De ton expérience, quelles pratiques as-tu trouvé efficaces, ou au contraire inefficaces ?
Je peux recommander de démarrer par les fondamentaux, sans les oublier. C’est le cas de la gestion de configuration mais pas que : l’utilisation d’une méthodologie homogène, des modèles de livrables, des processus définis. Ce qui va ensuite être efficace est le collaboratif.
Beaucoup de projets complexes se réalisent malgré des difficultés par une bonne collaboration, ambiance et bienveillance. À l’inverse, des projets simples n’aboutissent pas dans un contexte de conflits, de mauvaise foi et de manque de confiance. Favoriser le collaboratif est donc clef, avec des ateliers de travail réunissant l’ensemble des acteurs. Les mécanismes de revues ou techniques de test exploratoires supportant ces échanges sont plus que recommandés.
Démarrer par les fondamentaux, sans les oublier.
Anass El Bekali
Les processus de RCA (Root Cause Analysis) sont pour moi également très bénéfiques. Ils combinent l’approche collaborative en sécurisant d’inclure les acteurs du métier aux opérations et de supporter l’amélioration continue. Quand on subit un incident de production, on va courir après la restauration du service impacté. Par contre, les défauts se répètent et on ne prend pas assez le temps pour les analyser. Systématiser au moins deux instances par an de rétrospectives avec les bons interlocuteurs ayant l’expertise et l’expérience terrain devra se focaliser á l’identification et traitement des causes racines. Les RCA sont structurants pour améliorer la prévention des anomalies.
Antoine : Au contraire, as-tu rencontré des pratiques inefficaces ?
La croyance que l’on peut sortir un produit ou un projet sans un QA. Comme dans l’exemple que je partageais, ce serait un peu comme enlever le contrôle qualité dans une usine. Même si la qualité ne se limite pas à du contrôle, on ne peut pas complètement remplacer des profils de QA et de testeurs en misant tout sur des profils déjà en poste, c’est illusoire. Le QA est un métier à part entière, où la charge peut représenter jusqu’à un tiers du budget du projet.
Je mentionnais en seconde pratique le manque de mise en place d’innovation. Le test dépend du contexte, il faut innover et adapter en fonction du contexte. Des bonnes pratiques et guides existent, mais charge à chacun d’itérer pour trouver les bons mécanismes. Cela fait 22 ans que je suis dans ce domaine, et pour chaque entreprise j’ai tenu à mettre en place une méthodologie. Il y a un socle où l’on retrouve les fondamentaux nécessaires et spécifiques à chaque organisation.
Antoine : J’imagine que convaincre le top management est une étape nécessaire que tu sécurises ?
C’est pour moi obligatoire. Sans directive ou support du top management, l’exception devient la règle faisant tomber à l’eau les fondations et bonnes pratiques émergentes. Sans cette impulsion, la pression des délais laissera les opérationnels revenir aux anciennes habitudes et pratiques. La sensibilisation des sponsors favorise la conduite du changement et adresse les éventuels besoins pour maintenir une dynamique d’évolution.
Antoine : Convaincre des décideurs est un défi. Comment t’y prends-tu ?
“The Money”. Le premier élément pour convaincre le top management est financier, même si la satisfaction, la valeur restent à considérer. Je commence donc par calculer le coût de la non-qualité, au regard de celui de la qualité. Cette mise en perspective des deux options articule la valeur apportée par l’option de qualité, par rapport à un existant de non-qualité. La factualisation financière est le premier élément d’argumentation.
Matérialiser le coût de la non-qualité articule l’apport de valeur de la qualité, clé pour convaincre un décideur.
Anass El Bekali
Je complémente ensuite par la saturation des ressources. C’est un facteur auquel un décideur n’est pas insensible. L’objectif est d’amener la création de nouveaux modes d’organisations à favoriser une meilleure performance, productivité et un turn-over réduit. Le top management a besoin de consolider une équipe, maintenir la connaissance et la continuité de service.
Le plus important est de factualiser et rendre visible ces deux éléments aux décideurs. Le coût de la non-qualité, souvent exponentiel, permet de faire prendre conscience et incite à l’action. Le défi est d’enlever l’association initiale de la qualité uniquement à une notion de coût. La perspective de la non-qualité articule une création de valeur et de gain, passant d’une perte à un investissement.
Antoine : Pour terminer sur une note personnelle, quelles références, contenus ou personnes t’ont le plus inspirée ?
Depuis le bug des années 2000, le métier de QA s’est professionnalisé. Des associations, groupes et standards se sont créés. Je peux recommander CMMI et TMMI avec des prismes orientés sur la qualité. Il existe des également des standards plus pratiques comme ISTQB, où les syllabus sont accessibles et représentés dans plusieurs pays, avec plus de 120 comités. Les certifications IQBBA et IREB pour les exigences sont également utiles. Beaucoup d’autres standards comme COBIT ou de PMP pour la gestion de projet peuvent être pertinents. Il est important d’en comprendre les bonnes pratiques et les processus, gardant toujours l’adaptation au contexte en priorité.
Le deuxième point est de réaliser des diagnostics ou audits, formels ou informels. L’important est d’en réaliser à intervalles réguliers, par exemple tous les 2 ans. L’utilité est d’avoir une photo pour se repositionner par rapport aux évolutions de contexte, s’inscrivant dans une démarche d’amélioration continue.
Contenus évoqués
Le coût de la non qualité : https://www.pyx4.com/blog/4-types-de-couts-de-non-qualite/
Le modèle de RCA : https://asq.org/quality-resources/root-cause-analysis
Certifications TMMI : https://www.tmmi.org/
Certifications Business Analyst : https://www.iqbba.org/en/home.html
Certifications Ingénierie des exigences : https://www.ireb.org/en