La livraison de la dernière release a pris des semaines de retard, pour finalement se rendre compte que les fonctionnalités ne conviennent pas aux clients. Malgré des sprints et des graphiques coloré, la qualité n’est pas au rendez-vous. Le board décide d’agir.
On vous demande d’ici la semaine prochaine un plan d’investissement concret et actionnable pour inverser drastiquement la tendance. Le besoin d’utilisation de solutions modernes est clairement explicité. Il faut “capter de la valeur” et “vite”.
Se prendre un mur est l’un des déclencheurs pour investir en qualité logicielle. Les entreprises veulent souvent obtenir des résultats rapides et à court-terme. Nous voulons agir comme dans la vie courante, où la valeur s’obtient par la satisfaction d’ un acte d’achat.
Certaines organisations cherchent donc à acheter de la qualité logicielle, se transformant en Quality Shopper. Sans discuter l’intérêt de l’activité de shopping en tant que telle, y recourir pour la qualité est loin d’apporter de la valeur.
Commençons par explorer pour quelles motivations cette habitude du shopping s’est développée, avant d’en analyser l’impact sur la qualité.
Nous avons vécu sans shopping
Sans objectif politique ou critique, appréhender l’évolution humaine jusqu’à notre culture actuelle est utile dans la compréhension des comportements. L’influence de notre société de consommation est bien réelle dans les perceptions de la qualité. À cet effet, je vous recommande vivement l’ouvrage Sapiens de Yuval Noah Harari.
Initialement chasseurs-cueilleurs, nos besoins se résumaient à l’équivalent d’un sac à dos étant en perpétuelle migration. Les activités de consommation étaient essentielles dans la nature : trouver de quoi manger, construire une arme, faire un feu. On était donc loin du shopping.
La sédentarisation a suivi dans un but d’expansion de la population, amenant la spécialisation des individus et le besoin d’échange. À partir de cette étape, l’échange de la valeur perçue des produits et services s’est matérialisé par la création de monnaies. C’était le prémice du shopping et des actes d’achats. La différence résidait dans la relative pauvre qualité de vie des habitants, hormis d’heureux héritiers familiaux. Un autre élément était que la richesse disponible restait fixe.
On note un premier élément intéressant en lien avec la qualité : même si la valeur globale était présente, sa perception de qualité était très différente selon les individus. Le dicton “quality is value to someone” prend ici tout son sens.
Dans un but d’accélération de cette croissance et de création de valeur, la société a recouru à l’un des mécanismes de collaboration à l´échelle les plus importants, la culture.
Notre culture a adopté le shopping
Nous sommes arrivés au modèle de consommation dans une large partie du monde, basé sur des principes fondateurs: croissance et confiance dans le futur afin de soutenir le réinvestissement continu. Nous créons ainsi plus de valeur, au prix d’un shopping incitant à acheter des choses (souvent) inutiles, afin de soutenir la croissance.
Ces tendances influencent notre écosystème logiciel. Nous devons réussir à accélérer, fournir une meilleure valeur dans un contexte globalisé et innovant. Le comportement des individus est largement influencé par cette culture, l’acte de shopping est associé au bien-être. Des promesses d’achats qui seuls, iront résoudre nos problèmes : “Perdez 8 kilos sans effort avec cette pilule », “Sentez-vous bien avec ce jogging en promotion”.
“If you live for having it all, what you have is never enough.”
― Vicki Robin, Your Money or Your Life
Ces promesses sont bien souvent illusoires tout étant loin des réels besoins. L’utilisation du Start With Why complémenté par la méthodologie des 5 Why peut d’ailleurs nous ouvrir les yeux sur les réelles motivations; des motivations de fond qui sont bien plus porteuses de sens et apporteuses de valeur. Nous sommes loin de la facilité d’utiliser sa carte de crédit et supposément se sentir bien; cela reste surement plus confortable que d’aller effectivement faire du sport en changeant nos habitudes.
Cette culture de consommation se retrouve dans nos entreprises. Acheter des produits ou des services doit nous permettre de résoudre nos problématiques. Nous avons d’ailleurs tous croisé un Quality Shopper; quelqu’un achetant le dernier outil SaaS reconnu et à la mode, pour finalement se rendre compte que les gains ne sont pas captés. L’allocation de capital crée une attente de retour sur un investissement, pour mesurer notre fameuse augmentation globale de valeur. C’est un débat biaisé que vous pouvez retrouver dans ce partage sur le ROI.
Un focus sur la valeur est donc nécessaire, de son articulation à sa perception.
La qualité se prête mal au shopping
La proposition de valeur de la qualité est un réel défi pour les organisations. Les stéréotypes de contrôle qualité, tests et intégration en bout de chaîne sont des combats encore bien présents. La subjectivité de la qualité requiert une réelle influence et conduite du changement.
La subjectivité de la perception de valeur implique une réelle adaptation au contexte et aux interlocuteurs. Notre shopping nous a habitué aux tailles de t-shirt standards (relatives si vous comparez un M Européen et Chinois) que nous retrouvons d’ailleurs dans nos estimations en logiciel.
Différents écosystèmes collaborent au sein d’une organisation. Dans un contexte où des plus petites équipes transverses et pluridisciplinaires sont axées sur la création de valeur pour les clients. Les modèles de Taylorisme ont donc tendance à s’effacer dans une partie des organigrammes au profit de modèles Teal, Beyond Budgeting et autres Feature-teams.
Les approches d’alignement top-down sont donc bien moins efficaces, d’où l’importance de l’influence. La perception de valeur est subjective par individus et groupes d’individus. Nous y retrouvons les différentes équipes, le comité de direction, la communauté de pratique de QA. Un équilibre est nécessaire, supporté par une conduite du changement.
Transformer une organisation vers la qualité passe souvent par des démarches d’agilité loin du simple shopping de SAFe. Les changements culturels de focus client, les réflexes de collaboration, et les moyens de communication sont les vrais sujets. Pour la qualité, il faut changer les codes, les mots et les typologies d’intéractions. Farah Chabchoub nous l’a partagé dans son expérience de la qualité, des opérations au comité de direction.
Comme une qualité n’ayant pas de template prédéfini, les problématiques à résoudre sont également propres à chaque organisation.
Problèmes différents, solutions différentes
Notre focus sur les solutions à tendance à nous faire oublier les étapes de définition des problèmes. Même si les organisations ont des symptômes similaires, la composition des causes est unique: “There is no unique solution to unique problems”.
La résolution de problèmes est d’ailleurs un domaine de spécialisation de certains acteurs, comme la méthodologie de McKinsey. D’autres acteurs comme Toyota en ont compris l’importance est fait une réelle capability d’entreprise. Ces deux perspectives montrent qu’une balance entre interne et externe est nécessaire.
Les fameux quadrants sont utiles dans la catégorisation des problèmes. On retrouve celui des known/unknown applicables aux informations et aux connaissances. En manquant de connaissances internes, recourir à de l’aide externe peut avoir du sens. À l’inverse, c’est discutable pour des problématiques oú la solution est émergente par de la collaboration.
L’accélération de nos écosystèmes tend vers des systèmes désordonnés et réactifs. Les problèmes ont donc tendance à avoir de multiples causes, rendant complexe leur analyse. En complément, l’accès à des données pour supporter nos décisions n’est pas toujours gagné, le unknown restant présent. Ces risques font partie des 9 balles qui peuvent tuer le Quality Engineering.
La création de valeur par la qualité est loin d’être une simple problématique, rendant son shopping une illusion.
La qualité ne s’achète pas, elle se développe
Vouloir améliorer sa qualité logicielle par des achats compulsifs est donc loin d’être la solution. Ce serait la quête d’une équation sans équilibre possible, laissant notre malheureux ROI incompris.
La qualité logicielle, contextuelle et subjective, requiert première une articulation de sa valeur avant d’en prioriser ses problématiques. Le Start With Why reste donc le maître mot pour une équation où ce que nous pouvons acheter n’est qu’une partie de la solution.
“La Qualité ne s’achète pas, elle se développe”
Antoine Craske
Nous pouvons acheter des outils et des services, utiles en support d’une organisation et de processus avec des objectifs clairs. Nous pouvons également investir dans nos collaborateurs, leur développement, leur capacité à régler les problèmes d’entreprise.
Nous devons nous recentrer sur l’essentiel de la valeur. Comme nos ancêtres chasseurs, leurs priorités étaient limitées sans une dégradation de leur vie. Fournissons donc ce dont nos clients ont besoin, pas ce que nous aimerions ajouter à notre CV.
Références
Yuval Noah Harari, Sapiens https://www.amazon.com/Sapiens-Humankind-Yuval-Noah-Harari/dp/0062316095
Frédéric Laloux, Reinventing Organizations https://www.amazon.com/Reinventing-Organizations-Frederic-Laloux/dp/2960133501
Teal Organizations https://management30.com/blog/management-30-teal-organizations/
Beyond Budgeting, The Beyond Budgeting Principle https://bbrt.org/the-beyond-budgeting-principles/
5 Why Methodology https://www.mindtools.com/pages/article/newTMC_5W.htm
Antoine Craske, Stop Projects, Build Capabilities https://qeunit.com/blog/the-one-hidden-secret-of-quality-stop-projects-build-capabilities/